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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/19

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les lauriers par moi cueillis à Saint-Brice, il recommandait de « ménager mon intelligence trop impatiente », le sévère M. Lemoine me fit venir dans son cabinet, où il m’exprima son étonnement et son indignation : « Il paraît, monsieur, que vous avez laissé vos bonnes dispositions à Saint-Brice ? Je me félicite de l’avoir appris. Dorénavant, chaque fois que vous aurez mérité d’être puni, vous le serez doublement. » Et cela fut. Les punitions grêlèrent en giboulées sur moi. Les « retenues de promenade » devinrent permanentes. Je répondais par une pirouette aux réprimandes et aux objurgations.

Deux années de suite je me vis frustré de mes vacances, lors du premier de l’an. Rien ne pouvait plus vivement m’affecter. Si grande était ma joie de reparaître à Saint-Brice ! J’écrasais mes anciens amis de primaire en me pavanant sous mon uniforme de lycéen. Mes parents m’accueillaient toujours avec la même ferveur adoratrice. En vain les mauvaises notes du proviseur me précédaient-elles à la maison : elles y tombaient comme balles de liège dans de la plume, tant mon père et ma mère étaient peu enclins à me morigéner. Sans compter que l’excellent maître d’école disait : « Ils n’ont pas su le prendre. Ils ne connaissent pas les enfants. » Cependant que le curé grognait, accourant à la rescousse : « Je l’avais prédit. La place de Félicien était au séminaire. Il eût fait un si bel abbé ! » Et mon père de conclure : « Il fera ce qu’il voudra. En attendant, ne laissons pas chauffer le vin. Et trinquons ensemble. »

Je retrouvais mes petites amies. Elles étaient des demoiselles. Quinze ans ! Agathe Lureau secondait sa mère à leur auberge ; Berthe Fillol montait des bonnets ; Maria Bonbernard travaillait aux champs et dans les vignes. Mais quoique je fisse le malin, passant devant elles en fumant d’énormes cigares, à peine osais-je leur adresser la parole. Je rougissais lorsqu’elles venaient à ma rencontre. Évoquant le passé, nos jeux innocents et les autres, je les revoyais au fond de notre jardin, jupons retroussés, braquant vers moi leur derrière, et bien loin de m’agaillardir ce souvenir charnel m’était une gêne. Il n’en allait