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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/20

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pas de même pour elles, qui me saluaient d’un caressant « bonjour, Félicien », auquel je répondais presque en aparté, pressant le pas pour éviter un colloque. Et pourtant, au lycée, avec quel aplomb cynique nous parlions des femmes ! Les plus répugnantes pratiques sexuelles nous étaient familières. Nos salles d’étude et nos dortoirs en voyaient de propres ! Mais c’est justement parce que j’avais appris à ne pas rougir de cela que je rougissais devant des jeunes filles. C’est ainsi que se venge la nature outragée.

Je demeurai deux années encore au lycée. Je m’amendais. Je fis une assez bonne rhétorique, une passable philosophie. Mais parfois je me sentais tout chose. Moi si robuste, j’avais des pâleurs, de fréquents vertiges. Je pleurais sans apparent motif. Était-ce le fait de quelque amour malheureux ? J’avais eu, au dernier avril, une passionnette pour un blondin de septième dont on se disputait les faveurs. Je lui avais rimé des déclarations brûlantes. Certain jour, afin de lui marquer la violence de mon sentiment, je m’étais piqué d’un coup de canif la poitrine. Mais je venais de rompre et rien ne subsistait en moi de cette aberration sentimentale. Qu’avais-je donc qui pût expliquer ma lassitude et mes pleurs ?

Cependant les jours passaient. Nous préparions d’arrache-pied nos examens. En dépit de ma paresse, je ne me classais point parmi les cancres. Si je goûtais peu le latin ni le grec, j’étais fort curieux de sciences dont on ne nous entretenait qu’à la dérobée, et j’excellais aux lettres françaises. Je rédigeais à merveille. Je passais pour poète. Non content de versifier à l’intention de camarades aux charmes équivoques, je construisais de grandes pièces de vers qui, au jugement de tous, enfonçaient nos classiques. Mon professeur de rhétorique, M. Materne, ayant surpris quelques-unes de ces élucubrations, s’extasiait sur mon lyrisme et me promettait la gloire. Il versifiait plus pauvrement que moi, et c’était son excuse. Néanmoins les épreuves du baccalauréat n’allaient pas sans me donner la chair de poule. J’appréhendais une chute piteuse. Je n’eus qu’un échec honorable feutré de circonstances