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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/193

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prêtant indiscrètement l’oreille, derrière ma porte, aux bruits intimes qui pourraient m’arriver. Mais le seul bruit de l’orgue se fit entendre. M. d’Horchiac exécutait du Verdi, d’Il Trovatore à la Traviata, et par instants Mme Quincette fredonnait. Il en fut ainsi pendant plus d’une heure, et le silence tomba. Faisaient-ils l’amour ? J’imaginais ce lovelace d’administration dévêtant sa belle maîtresse, abattant les cerceaux qui encageaient la source de ses délices. Il me semblait qu’à travers les cloisons et le palier de subtiles fragrances venaient jusqu’à moi. Pas un cri, pas un craquement. Qu’ils étaient calmes ! Puis l’orgue reprit, scandant l’air de la reine Hortense. J’entendis enfin des voix naturelles, celles d’une simple conversation, et, après un instant, la porte s’ouvrit. Simultanément j’ouvris la mienne. Un pas, et je me trouvai devant Mme Quincette qui, suivie de M. d’Horchiac, se préparait à descendre. Son regard se vrilla sur le mien. Elle eut un brusque sursaut. Je baissai les yeux, saluai, descendis. Qu’allait-il se passer là-haut ?

J’en eus l’écho le soir même. Rentrant tard, je vis M. d’Horchiac ouvrir sa porte et s’avancer vers moi.

— Monsieur, en dépit de l’heure indue, pourrais-je solliciter de vous une minute d’entretien ?

Comme il paraissait ennuyé ! Entré chez moi, il s’assit précautionneusement, étira les pans de sa redingote, pivota deux ou trois fois sur son derrière.

— Monsieur, commença-t-il, il s’agit de l’honneur d’une femme. La fatalité a voulu que vous vissiez sortir de ma chambre Mme Quincette, qui est connue de vous. Mme Quincette m’honore quelquefois de sa visite. Cet événement la désespère. Elle se voit perdue. Je voudrais la rassurer en lui transmettant votre parole d’honnête homme de garder un secret auquel son honneur et sa vie sont étroitement attachés…

Il parlait comme un héros de roman-feuilleton. Il avait de fort beaux yeux, une fine moustache, de légers favoris, mais la minceur de ses lèvres n’annonçait pas plus la sensualité que la bonne humeur. Je m’empressai de lui donner toutes les assurances possibles. Je n’avais rien vu,