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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/194

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je chassais cela de ma mémoire. Pas un mot de moi, à qui que ce fût, ne le révélerait jamais. Il s’en alla, mélancolique, après m’avoir mollement serré la main.

Ils ne devaient pas être folichons, leurs tête-à-tête ! Je songeais à la situation gênante que me créait cette histoire, dans cette maison où les amours de Mme Quincette se continueraient sous la foi de mon silence. Mais je sus par le garçon de service que M. d’Horchiac avait donné congé. Les amoureux iraient se cacher ailleurs. J’appris en même temps que leurs rendez-vous duraient depuis deux ans. La dame, on ne la connaissait pas. On la supposait huppée, très faubourg Saint-Germain. Elle n’adressait la parole à personne.

Quel incident singulier ! Plus singulier qu’on le peut penser, puisque Mme Quincette, à deux jours de là, frappait chez moi, entrait, s’asseyait, me remerciait, me conjurait avec une effusion extrême. Appelé au chevet d’une parente, M. d’Horchiac, me dit-elle, n’était pas chez lui. Cette apparition, toute bruissante d’un frou-frou de popelinette, quelle émotion elle me causa ! Avec elle était entré un flot de parfums qui m’apportaient tout le Paris que j’ignorais encore. Elle me surprenait en bras de chemise, travaillant à un manuscrit, dans un assez beau désordre de paperasses. J’observai la gracieuse évolution de ses épaules. Elle avait le nez un peu fort, en accord avec une bouche en léger bourrelet, à la denture parfaite. (Je songeai à ce moment à la petite bouche pincée du trop heureux d’Horchiac.) Pâle, crispée un peu, elle parla par phrases brèves, au débit précipité :

— Monsieur, vous avez pris un engagement d’honneur que vous aurez à cœur de tenir, j’en suis sûre. Merci, merci ! Le tiendrez-vous même devant votre père et votre mère ? Je vous le demande, les mains jointes. Tout s’effondrerait si vous veniez à oublier votre parole. Une indiscrétion en déclencherait une autre et ce serait pour moi le pire. Ah ! monsieur ! Quelles heures d’inquiétude je viens de vivre !

— Madame, madame, fis-je, cherchant des mots qui ne venaient pas. J’ai juré, cela suffit. Je ne sais plus rien. Ce