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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/197

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— Oh ! madame, protestai-je.

— Me jureriez-vous que vous n’en avez rien livré à la jolie personne que j’ai entrevue ici ?

— Je vous le jure, madame ! (Je pouvais le jurer, certes.) Puis, sur un ton parfaitement dégagé, j’ajoutai :

— C’est une payse. Elle demeure dans le quartier. Elle était venue me voir en passant.

— Elle m’a paru très bien faite, déclara-t-elle.

Encore un peu, et ce dialogue nous entraînait sur une pente glissante, assez périlleuse. En eut-elle conscience ? Elle rompit court et, balançant sa crinoline, monta majestueusement les degrés.

J’étais devenu citoyen du Quartier latin. Je fréquentais au café Soufflet, où joueurs de cartes et d’échecs me consentaient un accueil sympathique. Je m’y donnais comme poète. Je fumais la pipe, la calumet à long tuyau, signe de ralliement de la jeunesse entre le quai Saint-Michel et l’Observatoire. Je sacrifiais à la couleur locale en laissant pousser mes cheveux.

Ces messieurs groupaient un bruyant peuple d’ex-étudiants rentés ou bohèmes, en chapeaux tromblons ou calabrais. Ces dames étaient leurs peu gênantes maîtresses. Moi qui venais là sans être accouplé, je bénéficiais d’appréciables aubaines. Une certaine Laurette, grasse et rieuse blonde au service appointé d’un carabin de quatrième année, me reçut à pleines cuisses chez elle quand, juillet venu, la Faculté de médecine ferma pour deux mois ses cours. Si nombreuses, en ce temps de vacances, étaient les filles inoccupées, que leurs offres amicales finissaient par rebuter mon robuste appétit.

Nous devions nous réunir tous et toutes à l’occasion du 15 août, fête de l’empereur, mais un boyard ayant levé Laurette, je me trouvai sans femme et résolus d’aller seul à travers les bals du quartier. Il en était un qui faisait grand bruit de cuivre sur la place Saint-Michel, près de la fontaine qu’on venait d’inaugurer. Je dînai aux « Amis de la Marine », où Jeanine s’affairait au service, et, méditant de rejoindre mes amis après minuit, à la Closerie des Lilas, je me dirigeai vers la rue Saint-Jacques. Partout l’animation