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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/207

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revoyais Louisette Lureau en passant sur les quais. Je lui avais promis de la conduire au bal, et la gamine s’en souvenait. Elle me rappelait ma promesse ; je la lui renouvelais sans songer beaucoup à la tenir. Or, un dimanche qu’elle demandait à Mme Quincette la permission de sortir, elle parla de danse et dit qu’on la menait au bal. « Et qui vous y mène ? » fit, amusée, Mme Quincette. « Des galants, pardi, répondit-elle. Il y en a même un que vous connaissez. » Et cette petite imbécile de prononcer mon nom ! Quel pavé dans la mare ! Sur-le-champ Hortense décida que cette débauchée devait retourner à Saint-Brice. À peine lui permit-elle de faire son paquet. Elle lui compta l’argent du voyage, la fit accompagner par sa femme de chambre jusqu’à l’embarcadère de la place Mazas, jusqu’au wagon du train partant pour Dijon. Puis elle écrivit à la mère Lureau que sa nièce courant les bals, elle ne voulait pas être tenue pour responsable de sa conduite et la lui renvoyait.

Quand Hortense me jeta cela, une Hortense déchaînée, m’imputant tout, je crus qu’un haussement d’épaules serait une protestation suffisante. Mais elle hoquetait de sanglots en se roulant sur mon lit. En vain disais-je que jamais je n’avais pensé à faire danser et moins encore à courtiser Louisette, je me heurtais à une véhémence vociférante et sourde. Elle me criait l’horreur de ma trahison. « Qu’est-ce que tu pouvais bien faire avec ce souillon de cuisine qui n’a que les os et la peau, et qui empoisonne ! » Je tentais de la caresser, mais elle s’en défendait rageusement, me mordait, me lacérait de ses ongles. Je saignai et la vue du sang mua sa rage en tendresse. « Je t’ai griffé, Félicien. Pardonne-moi. Dis-moi encore que tu n’as rien fait avec cette petite saleté. Comment pourrais-tu chercher du plaisir ailleurs, puisque je suis à toi des pieds à la tête et que tu n’as qu’à me prendre ? Regarde, si je suis belle ! » Elle bombait sa poitrine, arquait son ventre, écartait animalement ses cuisses, me prenait, m’attirait dans sa nudité en feu. « Griffe-moi, mords-moi, criait-elle, griffe et mords mes beaux seins, mon chéri ! » Et puis, ce fut la détente. Elle s’immobilisa sous mes caresses, qu’elle ne refusait plus.