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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/222

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oncle. Il les accabla de reproches, leur ordonna de le suivre, de l’accompagner chez le commissaire. Il criait très fort. « Quant à votre M. Fargèze, je vais lui faire voir de quel bois je me chauffe ! », ajouta-t-il, ne se doutant pas que j’étais si près. Je me levai d’un bond : « Vous dites, monsieur ? Vous venez de prononcer mon nom. Je suis M. Fargèze. » Il n’en parut pas décontenancé. « Ça tombe bien. Vous allez me suivre avec elles jusqu’à la police. » C’en était trop. Ma main s’abattit sur son épaule. « C’est moi qui vais vous en montrer le chemin », dis-je, criant à mon tour. Je le tenais ferme et il fut prestement dans la rue, où roula son haut-de-forme, que Piquerel ramassa. Avec une vigueur qui lui interdisait toute velléité de résistance, je le contraignis à marquer le pas comme un ivrogne qu’on ramène. Tremblantes, les deux sœurs suivaient. Nous fîmes dans le bureau du commissaire une irruption mouvementée.

Mon homme avait recouvré du coup son assurance et bouillonnait de colère. J’étais un vaurien, un suborneur ; j’avais entraîné deux filles mineures dans la débauche. Il ne se tut que sur l’injonction du magistrat de police, qui s’avisa de m’entendre en premier. Il avait sous les yeux un rapport sommaire dans lequel il était probablement question de moi. Qu’avais-je à dire ? Je lui déclarai, très calme, que je m’étais borné à faire mon devoir en venant en aide à deux jeunes filles sans ressources, jetées à la rue par leur propriétaire. Il me fit observer que ces jeunes filles eussent peut-être mieux fait de rentrer dans leur famille, toute disposée à pardonner leur fugue, ce que l’oncle appuya, furieux, en me roulant sous le nez un poing que j’écartai rudement. Interrogées à leur tour, Françoise et Gabrielle balbutièrent, sanglotantes. Quelle excuse donnaient-elles à une fuite dont les conséquences pouvaient être graves pour elles ? Soumises à l’autorité de leur père, elles auraient à compter avec les sévérités de la loi.

— Voyons, parlez, leur disait le commissaire. Mais leurs sanglots répondaient seuls.

Hardiment je pris la liberté d’intervenir.

— Monsieur le commissaire, fis-je en élevant la voix, si