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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/231

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tariat départemental, où elle tenait je ne sais quel emploi. Elle me reconnut, souriante, et ce fut elle-même qui me renseigna. La caresse de sa voix s’accordait à celle de ses regards, qui suggéraient irrésistiblement la communion sexuelle. Quand elle levait ses yeux, on croyait voir se lever sa chemise. Elle avait un petit tic au coin des lèvres, comme l’agacement d’une chatouille. Elle me laissa si ému que je revins plusieurs fois au Comité, en imaginant divers prétextes pour être reçu par elle, qui se montrait immuablement aimable. Elle m’appelait par mon nom, qu’elle avait lu sur ma circulaire, et j’en étais tout impressionné. Je sus le sien par un huissier de la préfecture : Éva Cadine. Elle était fille d’un comptable et vivait chez ses parents, du côté de Neuilly.

Je m’armai d’audace. Je l’attendis à l’heure de la fermeture du secrétariat. Je l’accostai sur la place. Il pleuvait. Je lui offris l’abri de mon parapluie.

— Jusqu’à l’omnibus, si vous voulez, me dit-elle, en m’enflammant de son regard.

Il n’était qu’à quelques pas, l’omnibus. Comme elle allait y monter, je la retins doucement.

— Êtes-vous donc si pressée, mademoiselle ?

Je gardais sa main. Elle sourit, mira ses yeux dans les miens :

— Je suis fiancée, monsieur. Au revoir.

Je fus très occupé, après cela, à mesure qu’approchait l’Exposition universelle. Elle s’annonçait féerique, mais on craignait que l’état d’agitation de l’Europe ne lui fût préjudiciable. La guerre entre la Prusse et l’Autriche justifiait si bien les prévisions alarmistes, que la débâcle autrichienne de Sadowa, qui pourtant était une défaite pour l’Empire, fut considérée comme propice à la reprise des affaires. On ne douta plus, dès ce jour-là, du succès d’un spectacle international qui se proposait d’effacer le souvenir de tous les autres, et Paris se prépara dans la joie à recevoir des millions de visiteurs.

Le Comité départemental se tenait à présent au Champ-de-Mars même, où l’on édifiait un prodigieux dédale de galeries, sans parler des palais et des pavillons qui surgis-