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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/232

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saient de partout. Je n’avais pas obtenu grand-chose de M. Germain Thibaut, qui ne savait où donner de la tête, mais je lui devais quelques relations utiles au sein du Comité. Je n’avais pas revu Mlle Éva Cadine depuis deux mois quand, un matin, je la découvris au Champ-de-Mars dans une annexe du secrétariat, devant une montagne de papiers. Elle me fit un accueil amical, et plus que jamais je fus fasciné par le feu de ses yeux. Comme je lui demandais la permission de venir quelquefois lui présenter mes hommages, elle me répondit en rougissant qu’elle me renseignerait bien volontiers sur les divers services de l’Exposition, qu’elle connaissait tous. Les bureaux fermaient ; je l’attendis au-dehors. Je me disais que quelque joli cœur devait certainement guetter son départ. Je ne vis personne, et tandis qu’elle s’éloignait dans la foule j’osai encore l’aborder. Elle parut ennuyée de cette insistance.

— Je suis fiancée, monsieur, je vous l’ai dit. Je tiens à n’être pas accompagnée.

Je la revis alors avec une assiduité dont, heureusement, l’excès ne fut observé par personne. Je venais au secrétariat le matin et l’après-midi, à tout propos, à toute heure. Je vouais mes journées à cette jolie demoiselle aux yeux incendiaires. Je délaissais mes travaux pour elle, confiant à la dévouée Isabelle le soin de parer à tout. Pauvre Isabelle ! Elle travaillait comme quatre, ajoutant à sa tâche celle qui eût dû me revenir et que je négligeais. À peine paraissais-je quelques instants rue Saint-Martin, distrait, rêveur, maussade. Mais elle ne pouvait attribuer cette humeur qu’au piètre résultat de mon activité auprès de ces messieurs du Champ-de-Mars, car je lui apportais une excitation avivée par les incidents de mon attente amoureuse, et, évoquant celle qui occupait mes pensées, je lui faisais l’amour avec une furie qui n’était pas pour lui déplaire. Furie que je manifestais même à mes amies occasionnelles du Quartier, à Bibiane, à une certaine autre surtout, Flore Lassin, qu’on appelait Beauté, à qui je prêtais un faux air d’Éva Cadine, assez pour me donner l’éphémère illusion de posséder celle que j’adorais en vain.

J’étais l’âme d’un groupe nouveau où rien ne subsistait