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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/239

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croire l’air angélique d’Éva. Je ne manquai pas de le lui dire, quand je la vis seule. Elle haussa les épaules, sourit en me regardant avec un calme étrange. Mon opinion était faite. Elle me détermina sur-le-champ à suivre une tactique moins louvoyante. J’en arrivai sans transition à des préliminaires de familiarités, bras passé derrière la taille ou pression de la hanche. Je m’enhardis ; elle ne s’en offensa point.

Un banquet devait réunir, le jeudi 6 juin, les collaborateurs de M. Alfred Blanche au Comité départemental. Éva y étant priée, je lui suggérai d’en profiter pour aller, en sortant de table, faire un tour avec moi à l’Allée des Veuves. Je la reconduirais en voiture, jusqu’à sa porte. L’Allée des Veuves, dénomination ancienne de l’avenue Montaigne, c’était Mabille, autrement dit le Château des Fleurs, plus brillant que jamais. J’eus beau lui décrire les splendeurs du jardin élyséen, elle ne se laissa pas convaincre. Le jour du banquet, elle me fit l’admirer dans une toilette qui relevait encore la lascive séduction de sa tête de blonde aux sombres yeux de brune. Je retrouvai mon affolement charnel devant cette fascinante apparition, qui faisait se retourner tous les hommes. Soudain, une dramatique nouvelle se répandit. Un coup de pistolet venait d’être tiré sur la voiture qui ramenait du Bois de Boulogne l’empereur Napoléon III et son invité l’empereur de Russie. La balle ne les avait pas atteints, blessant seulement un des chevaux de l’attelage. On tenait l’auteur de l’attentat, un jeune Polonais du nom de Berezowski. Aussitôt une officielle brume de deuil couvrit Paris. L’Opéra, où une soirée de gala se préparait, décida de faire relâche. L’Exposition mit ses éclatantes lumières en veilleuse. On décommanda le banquet du Comité départemental. Mabille lui-même annonça qu’il resterait clos.

Quel désastre pour Éva Cadine, promise à un divertissement de choix ! Le secrétaire du Comité, M. Germain Thibaut, ne voulut pas que ses subordonnés rentrassent chez eux sans avoir dîné, et il leur offrit un repas de consolation au restaurant de l’industrie. À neuf heures, tous les invités se retirèrent. Éva se disposait à rentrer chez elle quand je l’accostai. Je guettais sa sortie du restaurant, et