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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/238

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ment de guitares. Elle accepta. Je venais de la trouver devant le kiosque où se faisaient applaudir les musiciens des célèbres concerts Besselièvre. Elle ne cacha pas sa joie de s’asseoir là, de s’y mêler à ces trépidantes harmonies.

— J’aime tant la musique ! me répétait-elle.

— Et la danse, m’avez-vous dit ?…

— Et aussi la danse. Ah ! la danse !

L’élastique danseur que j’étais, héros de tous les bals de Paris, se targua vaniteusement de ses talents chorégraphiques. Elle ne connaissait aucun des jardins élus par la folie, le plus fameux étant Mabille. Qui l’y eût amenée ? Elle dansait dans ces bals de sociétés où l’on ne s’amuse qu’à la condition de scandaliser les gens qui s’y ennuient. Je lui offris d’être son cavalier à de vrais bals, Château-des-Fleurs, Bullier, Reine Blanche. « À l’heure où ils s’ouvrent, je suis dans mon lit », m’objecta-t-elle. Je lui rappelai que l’Exposition prêterait à de nombreuses fêtes de nuit auxquelles certainement elle serait invitée, ce qui l’amènerait à rentrer tard. Elle parut en convenir, mais ne m’en dit rien.

Le Sorbet Napolitain nous revit deux jours après, dans une cohue propice à l’isolement. Elle me faisait face et je descendais dans la troublante nuit de ses yeux. Qu’il était parfumé, l’air que je respirais sur sa bouche ! J’admirais les nuances de son épiderme de blonde. Qu’il devait être doux à caresser, le satin qui l’habillait quand elle était nue ! Mes protestations d’amour ne l’irritèrent pas, mais elle y répondait en secouant la tête. « Que pourriez-vous espérer, monsieur ? Dès après l’Exposition, je serai mariée, sans doute… » Elle déclarait cela presque tristement, et comme je lui en faisais la remarque, elle m’avoua que l’obligation de vivre à Rouen l’effrayait. « J’aime pourtant mon fiancé », poursuivait-elle en manière de correctif. J’en eus un apparent témoignage au cours de la semaine suivante. Éva, son fiancé, sa famille visitaient le Champ-de-Mars, guidés par elle. Ce futur mari était un petit fat très provincial, monocle à l’œil, parodiant le lion parisien. Je l’observai au café Hongrois, où ils s’étaient tous attablés. Il caressait de près celle qui serait sa femme. J’eus l’impression d’une intimité plus complète que ne donnait à le