Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241

crois, n’en avait pas d’autre. Elle n’était guère sensuelle, et je le reconnus peu à peu, bien qu’elle se donnât avec une grâce libertine inlassable. Mais la danse lui dispensait une volupté sans pareille, à m’en rendre jaloux. Peut-être aurais-je tenté de refréner cette passion trop exclusive si je ne m’étais dit que je lui devais d’être l’amant heureux, le possesseur extasié, que rien ne préparait à une telle béatitude. D’ailleurs, si le bal la faisait délirer trois fois par semaine, ne jouissais-je pas intégralement d’elle tous les jours ?

Je disposais de mes matinées pour mes affaires, qui n’allaient pas aussi mal que j’aurais pu le craindre. Des travaux suivis m’avaient été confiés par un groupement de gros bateliers du Centre, auxquels mon père m’avait directement recommandé. J’assumais leur correspondance et je les représentais auprès des services de l’Exposition. Isabelle dirigeait tout avec une admirable lucidité, mais elle s’étiolait d’ennui dans cette cour de la rue Saint-Martin, où les visiteurs étaient rares. Je la promenais quelquefois le soir à travers l’Exposition en fête, quand je n’étais pas de bal avec Éva. Je la voyais triste, je la sentais inquiète. Elle me trouvait distrait. Il ne m’arrivait plus aussi souvent de la saisir en courant au bureau même. Elle ne m’en était pas moins dévouée, et je lui en témoignais une affectueuse reconnaissance. Elle gagnait sa vie ; je lui offris quelques bijoux, des objets de toilette ; je lui plaçai cinq cents francs à la Caisse d’épargne sur les premiers paiements que me firent les bateliers.

Le 15 août approchait. Mon père et ma mère profitèrent d’un train de plaisir pour venir passer cinq jours à Paris. Ne désirant pas renouer avec les « Amis de la Marine », je les fis descendre à mon hôtel. Ne tenant pas à leur faire connaître Isabelle, je priai ma chère collaboratrice de prendre une semaine de vacances, qu’elle avait bien méritée. Je m’ingéniai à distraire mes parents. Je leur montrai l’Exposition en détail ; je leur fis faire une promenade sur la Seine, dans ces bateaux-mouches qui étaient la récente innovation parisienne. Ils allèrent applaudir Cendrillon au Châtelet, et les acrobaties du Cirque américain au Théâtre du Prince impérial, place du Château-d’Eau. Ils assistèrent