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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/245

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à une ascension du Géant, le ballon de Nadar ; ils virent le feu d’artifice tiré par Ruggieri sur l’Arc de Triomphe. Ils repartirent éblouis, mais rompus de fatigue. Mon père m’avait félicité de mon activité et de l’état de mes affaires. On sait qu’il n’était pas bien exigeant.

Ces cinq jours, je ne les avais dérobés que partiellement à Éva, que je ne privai pas de ses bihebdomadaires parties de danse. Mabille s’efforçait de capter les étrangers par des spectacles pimentés sur lesquels la police jetait un voile. On y renouvelait, en présence du vieux Chicard qui revenait là chaque soir, les suggestives désarticulations de ce cancan national qu’avaient illustré Irma Canot, La Tocquée, l’Aztec, Finette, Alice la Provençale. Un bataillon de pétulantes lève-la-patte faisait escorte aux reines de la chorégraphie acrobatique, et toute une armée de cocodettes était mobilisée pour garnir les allées du beau jardin où deux rangées d’ormes servaient d’avenue à des asiles verdoyants et fleuris. Or, Bullier ne voulait pas être en reste avec le bal de l’Allée des Veuves, et chaque soir y étaient offertes des attractions nouvelles. On tirait un feu d’artifice. Maria la Bouquetière distribuait à brassée des fleurs dans un décor qu’incendiaient des flammes de Bengale. Des femmes nues quadrillaient éperdument entre deux rideaux de gaze rose. Quant aux bals populaires, de la Reine Blanche au Château Rouge, ils corsaient à l’unisson leurs programmes, les viveurs qui allaient de l’un à l’autre pouvant se flatter d’en avoir pour leur argent.

En même temps, les établissements à femmes qui faisaient à l’Exposition une ceinture de pavillons multicolores s’efforçaient de retenir près du Champ-de-Mars la clientèle qui, le soir, disparaissait dès après la fermeture. Tout étant toléré, on se permettait le pire. Cela prit bientôt tournure d’orgie, et les journaux pieux eurent beau jeu de représenter Paris comme un immense lupanar où le vice était publiquement offert en spectacle, à la face du monde. Jamais on ne s’y était si furieusement amusé.

Éva n’échappa pas à la fièvre de folie qui portait au plus haut la température des nuits parisiennes. La permission d’onze heures ne lui suffisait plus. Elle se désolait de