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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/271

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qu’une semaine à Saint-Brice, après avoir confié à notre notaire de Saint-Jean-de-Losne le soin de s’occuper de la succession. Mon père me chargeait d’assurer à Mme Henrion une rente viagère de douze cents francs, et je priai le notaire de faire diligence à ce sujet, au mieux des intérêts de cette excellente femme, pleine de réserve et de dignité. Je décidai de garder notre maison familiale. Ne serais-je pas heureux de venir m’y reposer, un jour ?

On m’apprit que Bougret était mort. Ivre, il avait chu dans le canal. On l’avait repêché, mais une congestion pulmonaire s’en était suivie. Son fils aîné, marié, le remplaçait à l’écluse. La Bougrette travaillait durement pour toute la maisonnée.

J’étais riche. Après avoir distrait de mon capital une trentaine de mille francs que je plaçai en fonds d’État, je mis en viager le surplus de l’héritage et j’eus ainsi quinze mille francs de revenus. Je liquidai mon entreprise de copies, avec d’autant moins de regret que les bénéfices en étaient devenus problématiques. J’allais compter quarante-huit ans. Je n’avais qu’à me laisser vivre. Je continuerais de regarder bien en face le plaisir. D’abord je quittai l’hôtel de Mme Cachereux pour un autre, au 19 de la rue Champollion, où j’occupai deux vastes pièces. Mais les galantes amies que j’y recevais étaient d’une allégresse exubérante, et pour échapper aux justes observations des hôteliers je résolus de me mettre dans mes meubles, bourgeoisement. Tout en haut du boulevard Saint-Michel, devant les beaux arbres du Luxembourg, je découvris trois pièces ensoleillées que je meublai en dilettante raffinant sur le confort. Et, bien entendu, on en pendit la crémaillère. C’était le 6 mai 1885 et ce fut une petite noce dont on parla longtemps.

J’avais invité quelques amis du Quartier et de Montmartre. Vachette, le d’Harcourt, le Cujas, la Nouvelle Athènes, étaient représentés par de joyeuses filles, intimement connues de moi, sauf une, que je ne connaissais encore que par son prénom de Marie-Antoinette et qui, abandonnée par un étudiant, pleurait chaque soir au Cujas mais s’était jusque-là refusée à d’autres amours.