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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/270

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orifice après l’autre. Au jour pointant elle s’échappa pour me revenir avec une malle. Elle s’installait. J’étais bien ennuyé. Je me tirai d’affaire en lui payant une chambre dans l’hôtel même, expliquant que par là nous sauverions les apparences. Mais son marlou la guettait. Glabre et sec, la gueule couturée de cicatrices, il était franchement ignoble. Il me vit avec elle et carrément j’allai à lui, risquant un coup de traître. Il comprit, à me voir, que je n’étais pas homme à plaisanter, tourna les talons en proférant des menaces. Cependant je sus qu’elle le recevait dans sa chambre. Ils se battaient. Un matin, il emporta les draps et la pendule. Je dus payer. Je me fâchai. Je remis quelques louis à la Manola en la priant d’aller se faire foutre ailleurs. Précisément on venait de lui proposer une tournée de danses dont la première étape serait Toulouse. Elle s’en irait donc. Elle se donna de toute sa fougue en manière d’adieu. Quelques semaines plus tard, le directeur de Bullier m’avisait qu’elle avait regagné l’Espagne, et je n’entendis plus parler d’elle. La regrettais-je ? Vulve prenante et sphincter élastique, elle était exotiquement divertissante, mais — dois-je le dire ? — elle sentait fort.

Je m’amusai, après cela, d’une spirituelle habituée de la Nouvelle Athènes, Andréa Martine, ex-modèle de peintres célèbres, riche d’une rente qui la faisait libre, et dont les faveurs étaient d’autant plus cotées qu’on ne les rétribuait pas. On faisait chez elle, rue de Laval, de petits dîners fins dont j’assumais quelquefois les frais. Framine y venait avec sa maîtresse, que j’avais ignorée jusqu’alors, une blondinette de dix-huit ans, à l’air de petite sauvageonne, et qui sur-le-champ me prit à l’endroit sensible. Elle s’appelait Didine. J’ai à faire ici un aveu qui me coûte. Je courtisai Didine, qui ne se montra pas cruelle. Je l’eus pendant six mois. Framine le sut. Je perdis un vieil ami qui ne me pardonna jamais ma trahison.

L’année 1883 me fut terriblement douloureuse. Le 7 juin, un télégramme de Mme Henrion m’apprenait la fin subite de mon père. Un coup de sang l’avait abattu. Il venait d’entrer dans sa soixante-dix-septième année. Je ne restai