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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/277

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La vieille… La Bougrette, Agathe Lureau. Agathe… Depuis 1864 je ne l’avais pas vue.

C’était à vingt minutes du village et j’y fus en suivant le canal. Autour de l’écluse, quelques maisons s’étaient groupées, bien chétives. Des chiens, des poules, une piaillerie de marmots. Je marchais en promeneur. Une grand-mère toute cassée, ridée, loqueteuse… Serait-ce elle ? Je me rappelai le siffleur que j’avais été, sifflant sans cesse en flânant, mains aux poches. Je sifflai La Belle Dijonnaise. La femme se tourna péniblement, me regarda, fit quelques pas vers moi : « Vous seriez-t-y pas Félicien ? — Je suis Félicien, oui. — Ah ! T’es Félicien ! » Tout son pauvre corps tremblait. « Félicien, Félicien !… Comme c’est loin ! Et j’ai eu tant de misère ! » De ses yeux ravinés coulaient de grosses larmes. Des enfants s’approchaient. Je vis venir un beau garçon d’une vingtaine d’années. Un de ses petits-fils, bien sûr. Elle dit encore : « Tu voudrais-t-y pas rentrer, t’asseoir un moment ? » Je fis signe que non. « Je suis bien content de vous avoir revue, la Bougrette. » Et je m’éloignai, suivi des yeux par elle. Le canal, là, faisait un coude. Je me remémorai mon départ à bord d’une péniche de mon oncle. Je m’assis sur une borne de halage et méditai longtemps. Je pleurais et cela m’était d’une douceur inexprimable. Je revins sans hâte. Je m’emplis les yeux de l’image éteinte de notre maison, des vestiges de nos chantiers à bateaux. De nouveau j’allai m’incliner devant la tombe qui recelait tant de moi-même. Je ne me dissimulais pas que je ne reviendrais jamais à Saint-Brice, et c’était un adieu dernier que je disais à mon père et à ma mère. Lourd d’émotion, alors, et me retournant sans cesse, je regagnai Saint-Jean-de-Losne où j’attendis que passât l’express venant de Dijon.


 
 

Mais je me suis promis de conclure. Je fus toujours bavard à me raconter et ceci explique ces Mémoires. Tout y est vrai. Tous les personnages que j’y évoque ont vécu