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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/34

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ses bonnes fortunes, et je lui prêtais une oreille attentive, ne perdant rien des détails égrillards qui festonnaient ses récits. Il fut flatté d’avoir un admirateur en moi, quelque chose comme un disciple, et je devins son intime confident.

— Monsieur Fargèze, me dit-il certain jour, il ne tient qu’à vous de m’accompagner dans ma prochaine expédition dijonnaise. Ça vous remémorera vos années de collégien.

Il n’avait pas fini de parler, que j’avais accepté déjà. Mais, à la maison, ma mère jeta les hauts cris. Le « voyer » Morizot avait une réputation trop mauvaise pour qu’on pût lui confier un garçon de mon âge. Mon père ne disait rien, réservant son avis. Je pleurai, je boudai et, me ravisant, je travaillai double au bureau, ce qui méritait bien une récompense. Bref, je fus habile et triomphai. Je promis, au surplus, de rendre visite au proviseur du lycée et à mes anciens maîtres.

C’était en février. Morizot avait loué un vieux tape-cul qui, quatre heures durant, nous cahota sur une route boueuse. J’étais riche de vingt-sept francs. Sept représentaient mes petites économies ; dix m’avaient été remis par mon père ; quant aux dix autres, ils provenaient tout simplement de la caisse du chantier, un artifice de comptabilité m’ayant permis de dissimuler ce larcin. À l’entrée de Dijon, nous logeâmes cheval et voiture à l’auberge du « Grand Relais », jouxtant le pont Napoléon, et après avoir cassé la croûte et fait un brin de toilette, nous nous dirigeâmes vers le centre de la ville, où tout me parut nouveau, car je m’y promenais librement pour la première fois.

En ce temps-là, la cité de Piron montrait deux visages bien distincts, l’un figurant le plaisir et l’autre la dévotion. On n’y rencontrait que nonnes et ensoutanés, hardis polissons et filles dégourdies. Le rire y était chez lui dans les rues vineuses, que les ivrognes se chargeaient d’arroser, et sous les porches s’échangeaient des ardeurs qui ne pouvaient attendre. Morizot m’entraînait, se retournant parfois pour apprécier quelque ragoûtante donzelle. Il flairait le vent, tel un chien sur une piste de chasse, en fredonnant, l’œil allumé, que ça sentait la putain. Odeur