Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32

capiteuse, et que moi aussi je flairai bientôt, mêlée à certaine odeur de liberté qui me grisa, délicieuse, quand se dressa devant moi, rue Saint-Philibert, la façade revêche du lycée. À mon tour j’entraînais Morizot, qui me demanda vers quelles amours me conduisait mon impatience. Mais comme nous parcourions une ruelle puante, il m’arrêta : « N’allons pas plus loin. Nous trouverons ici notre affaire. » Une allée sombre s’ouvrait devant nous, où naissait un étroit escalier de bois que nous gravîmes à tâtons. « Ohé ! » cria-t-il. Une porte s’entrebâilla, encadrant une maigre tête de vieille, coiffée en marmotte. Morizot donna quelques coups de pied dans la porte, qui s’ouvrit alors tout à fait :

— Bonjour, la Marie, fit-il. Delphine est-elle là ?

La vieille trottina, avança de pauvres chaises. Non, Delphine n’était pas là, mais elle irait vite la quérir. Nous nous trouvions dans une étroite chambre, qu’une minuscule fenêtre éclairait en sourdine. Un lit, que bombait un édredon rouge, en occupait une alcôve. Un feu de bois gémissait sous des cendres. La vieille sortit et Morizot m’expliqua que nous étions chez la tante d’une couturière peu farouche, auprès de laquelle il se distrayait quelquefois. Il ouvrit un placard, y prit deux verres, une bouteille d’eau-de-vie de prunelle, et nous dégustions cette liqueur lorsque la Marie rentra, suivie d’une brunette assez gentille, coquettement attifée. C’était la Delphine attendue, qui vint avec empressement s’asseoir sur les genoux de Morizot. « Écoute, lui dit-il, le jeune homme que voici cherche une amoureuse. Tu dois avoir ça parmi tes amies et connaissances. » Je rougis. Delphine prit un air de réflexion, fronçant les sourcils : « Je connais Irénée, mais elle est en journée chez la mercière. Je connais Valérie, mais elle a son soldat. »

— Il y a Victorine, suggéra la vieille.

Elle haussa les épaules : « Une traînée comme Victorine pour ce monsieur ! » Enfin elle s’écria : « J’oubliais Sidonie. Justement, elle n’a rien à faire. » Et, quittant les genoux de Morizot, elle gagna la porte en annonçant : « Je la ramène dans dix minutes. »