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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/36

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Nous vidâmes nos verres. La vieille disposait le lit, reculait l’édredon, faisait la couverture. L’heure devenait pour moi redoutable. Qu’allait-il se passer ? J’avais l’anxiété d’un patient chez le dentiste. « On va rigoler, mon cher, on va rigoler », disait Morizot en me tapant du plat de la main sur la cuisse. Coup sur coup j’asséchai deux autres verres de prunelle. Les dix minutes ne s’étaient pas écoulées que Delphine reparaissait, précédant une femme d’une trentaine d’années, aux traits flétris, grasse et forte, dont la chevelure blonde était enfermée dans une résille. L’aspect propret d’une ouvrière, fichu de laine noire croisé sur un caraco gris.

— Voilà votre amoureuse ! présenta-t-elle en la plantant devant moi, au milieu de la chambre.

Mon amoureuse ! Elle saluait, embarrassée un peu, faisant cliqueter entre ses doigts un trousseau de clefs. Mais son embarras se dissipa vite. Elle me regarda, sourit, s’approcha jusqu’à me toucher. « Le beau garçon ! » dit-elle. Allais-je révéler mon ridicule état d’âme ? Une héroïque résolution me fit enlacer la fille. Je la chavirai sur le lit. « Vous n’y allez pas de main morte ! » ricana Morizot, qui sur ses genoux avait repris Delphine. Si peu de main morte, qu’à présent je bouleversais le caraco, tentais de dénouer le lacet de la chemise. Elle retroussa son jupon, gloussa, se débattit, m’échappa, et comme une seconde fois je la chavirais elle plaqua sur ma bouche un baiser trempé de salive et chuchota : « Pas ici. Viens dans ma chambre. » J’étais haletant. J’acquiesçai d’un signe. En moi venait de s’éveiller le sexe et je n’avais plus peur.

Morizot convint que nous nous rejoindrions deux heures plus tard, à l’auberge où nous avions remisé la voiture. Je suivis Sidonie. À quelques maisons de là, au fond d’une autre allée que traversait une rigole huileuse, elle habitait un réduit carrelé, meublé d’un lit à la courtepointe striée de reprises, d’une armoire vermoulue, d’un petit poêle dont le tuyau crachait la fumée sur une cour. Le jour brunissait. Elle fit luire une chandelle et nous restâmes un instant sans mot dire et sans nous regarder.

Elle rompit le silence, me demandant si j’étais de