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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/39

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huit lieues devait avoir fourbue. La rougeaude servante s’avançait, portant une seille d’eau, qu’un cheval voisin se mit à humer à grand bruit. Elle attendit qu’il eût bu son soûl, reprit la seille et, les yeux au sol, passa tout contre moi, sans relever la tête. Je la regardai s’éloigner, dos bossu, hanches carrées et fesses plates. Elle prit un décalitre, entra dans une remise qui servait de grange, où grains et fourrages s’entassaient. Je l’y suivis. Elle emplissait d’avoine sa mesure. Elle avait les yeux tuméfiés par le froid. « La besogne ne manque pas », fis-je histoire de dire quelque chose. Elle répondit : « Pour sûr, monsieur », sans plus. À présent, penchée, elle déliait une bottelée de foin. Je risquai vers son pauvre corsage une main tâtonnante. Ce laideron avait de menus seins durs. Je m’enhardis, palpai le cotillon, la poussai doucement sur le lit de fourrages. D’abord elle se maintint du bras à un pilier, jambes serrées, m’opposant une passive résistance. Puis le bras se détendit, retomba, et elle me laissa faire, desserrant les jambes. Nous n’échangeâmes pas une parole. Quand je me relevai, elle ploya le coude pour se cacher le visage. Elle pleurait, sa poitrine se soulevant par saccades. Alors, cueillant dans ma poche les sept francs qu’avait refusés Sidonie, je les plaçai dans la main rouge d’engelures et je m’éloignai.

Je revins sur la route, respirant avec délices la brise glaciale qui soufflait du canal, tout proche. À grands pas je parcourus le faubourg, m’égarai dans un dédale de ruelles avoisinant le canal, si bien que Morizot m’attendait depuis un quart d’heure quand je reparus à l’auberge. Il avait commandé le dîner, des côtelettes, une omelette au lard, une salade, et sur-le-champ nous nous mîmes à table. Il rayonnait : « Cette Delphine ! Quel trésor ! » Il grillait d’envie de connaître mes prouesses, et je lui débitai d’effrontés mensonges dont il se régala. Mais je négligeai de lui narrer mon exploit avec la servante, qui allait et venait dans la salle, sans oser lever sur moi ses humbles yeux. En vérité, j’en gardais quelque honte. Ah ! cette lamentable face, rubescente, et turgescente, aux lèvres couturées par le gel ! Néanmoins, lorsque nous nous