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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/40

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en allâmes, et comme elle se tenait sur le seuil de la cour, je mis à profit l’obscurité pour apprécier une dernière fois la fermeté de sa gorge. Elle ne fit pas un mouvement, les bras rivés le long du corps et les yeux occupés au loin.

Notre retour à Saint-Brice, dans la nuit noire, ne fut marqué par aucun incident. Il était près d’une heure du matin quand je réintégrai le domicile familial, où veillait l’inquiétude maternelle. « T’es-tu bien diverti ? » questionna mon père, en relevant son bonnet de nuit pour m’embrasser. Je ne répondis ni oui ni non, remettant au lendemain le récit de ma visite à M. Lemoine, proviseur du lycée, au censeur Colliot, au bon aumônier Gagey, à M. Materne, mon cher professeur de rhétorique, et, la conscience sereine, je ne tardai pas à m’endormir.

De ce jour je me montrai d’une indolence tout orientale, accomplissant ma tâche quotidienne avec une répugnance dont mon père s’affligea : « Si ça ne te sourit pas, dis-nous ta vocation, pardine ! » De vocation, hélas ! je ne m’en discernais guère ! Une sorte de mue morale s’opérait en moi. Je me sentais désemparé. Les jours, les mois passaient, ne m’apportant que la promesse de jours et de mois non moins fades. Je me promenais, rêveur, à travers bois et champs, indifférent aux charmes innombrables des choses. Ma meilleure distraction consistait à seriner sur ma lyre écolière des poèmes plus riches de rimes que de raison, dédiés à des maîtresses idéales, tout à la fois démons et déesses. Aux pressantes avances d’Agathe Lureau, je répondais par de poétiques déclarations, qui achevaient d’enflammer ma roucoulante camarade. « Gageons que vous vous ennuyez de Sidonie », me disait Morizot, évoquant chaque soir nos aventures de Dijon, que son imagination transformait en saturnales. On me plaisanta, on m’accabla d’allusions salées, et Agathe m’écrivit des billets d’amante trahie auxquels je répondis par une Ode à l’amie toujours chère, qui puait Lamartine et son sentimentalisme cantharidé. Au reste, je n’étais pas le dernier à chercher ce que signifiait mon étrange humeur. Qu’avais-je ? De guerre lasse, je finis par me convaincre