Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47

CHAPITRE CINQUIÈME

Au fil de l’eau. Balthasar et la Berrichonne.
La famille Boulard. Rixe avec Balthasar.
J’abandonne la marine.

La Mère-Picarde et l’Avalanche devaient rallier, à Orléans, la troisième péniche de mon oncle, la Ville-de-Nevers. Elles portaient un chargement de vins. La Mère-Picarde était le bateau patronal. Il s’y trouvait une cabine-bureau dont je pris aussitôt possession, afin d’affirmer devant l’équipage mes fonctions d’homme de plume. Après quoi, jusqu’à la nuit, j’allai rêver et rager sur le pont.

Mon oncle, tout à son foie, qui le torturait, laissait le gouvernement de ses bateaux à un certain Balthasar, dit Nom-de-Dieu, un rustre barbu et poilu, d’une humeur de garde-chiourme, et qui dès le premier abord me dévisagea de travers. Du matin au soir il grondait et sacrait. En dehors de son service il était préposé à la cuisine, qu’il expédiait sommairement et salement. Le lit qu’on m’avait préparé voisinait avec le sien, dans l’Avalanche. J’allai droit à lui, qui me vit venir, et je lui plantai mon regard dans le blanc de l’œil.

— Nous sommes de la même chambrée, Balthasar. J’espère que nous ferons bon ménage.

Ses yeux ronds flambèrent. Il maniait une longue perche. Avec violence il la projeta loin de lui.

— J’ai pas pour habitude de faire mauvais ménage, grogna-t-il. Pourquoi que vous me dites ça ?