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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/51

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— Parce que ça me plaît.

— Je n’ai rien à voir avec vous. Laissez-moi tranquille.

— Vous avez mauvais caractère, Balthasar. Il faudra vous guérir de ça.

Il saisit une autre perche, qu’il projeta plus violemment encore.

— Bon Dieu de bon Dieu ! J’ai quarante ans et vous n’êtes qu’un galopin. Tâchez voir à me foutre la paix !

— Le galopin vous emmerde ! répliquai-je.

Nous avions crié très fort. L’équipage levait le nez. Mon oncle se montrait. Balthasar s’éloigna, roulant des jurons dans sa barbe. Notre querelle, ce jour-là, n’alla pas plus avant.

Je m’installai. Rageant toujours, je dépêchais les écritures du bord, je parcourais à pas nerveux le pont de la Mère-Picarde. Je regardais s’approcher, s’étendre, s’éloigner les villages. Des péniches amies croisaient les nôtres. Aux écluses, je descendais à terre, heureux de reprendre contact avec la vie extérieure. Un jupon ne pouvait passer sans que je ressentisse une commotion galvanique. Une femme ! Quand en aurais-je une, toute à moi, dont je pourrais me rassasier sans qu’aucune mère Lureau vint se placer entre nous ? J’avais hâte d’être à Orléans. J’étais si aigrement disposé qu’un matin mon oncle m’ayant fait je ne sais plus quelle observation bénigne — le pauvre cher homme ! — j’allai m’enfermer dans la cabine de l’Avalanche et ne reparus qu’à l’heure du déjeuner. Je me tenais prêt à sauter à la gorge de Balthasar, pour peu qu’il eût esquissé quelque geste équivoque. Mais il se gardait bien de broncher, et nous dormions presque côte à côte sans échanger le moindre mot.

Notre itinéraire se déroulait avec une régularité monotone. Tonnerre dépassé, nous avions touché Laroche. Nous quittions le canal de Bourgogne pour descendre la rivière d’Yonne. Nous entrâmes dans les eaux de la Seine, et je ne songeai pas sans émotion, quand nos bateaux atteignirent le Loing, que nous n’étions qu’à quinze lieues de Paris. Ce fut ensuite le canal d’Orléans, où nous nous engageâmes non sans difficulté. Lorsque la cathédrale