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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/79

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Elle m’apprit que la chaude Mme Boulard passait pour coucher avec cinq ou six messieurs de la ville, même aussi avec le curé, qu’elle voyait souvent sans être dévote. Loin d’avoir des soupçons, Boulard disait partout que sa femme considérait l’amour comme une corvée. Cependant elle ne me raconta que ce qu’elle voulut, et à quelques jours de là, ayant quitté sa chambre sur le coup d’une heure du matin, parce qu’elle me pressait de partir, je fis le guet jusqu’à trois heures, quand je vis cogner à la porte vitrée un jeune compagnon tenant le marteau chez un forgeron du voisinage. Moins grand que moi, mais bien bâti, le gars pouvait avoir vingt-trois ans. Ce n’était plus le père Boulard. Je me sentis touché. Je méditai de l’attendre pour me colleter avec lui, au risque de trouver mon maître. Puis je me dis qu’après tout Germaine se donnait sans rien demander en échange, et je rentrai me coucher philosophiquement. Jamais je n’avais regagné mon lit à pareille heure, ce que ma voisine, quand je redescendis pour déjeuner, me fit remarquer d’un air à sous-entendus. Je fus en retard chez le marchand de bois. Germaine, que je croisai sur le seuil, m’avertit à voix basse que je trouverais au bureau Mme Boulard.

— Et ton ami le forgeron ? lui glissai-je en ricanant. Tu le reçois au petit jour, lui, sans t’occuper des scieurs de long.

Elle fixa sur moi des yeux inquiets. Son teint de rose tournait au bistre.

— Oh ! monsieur Fargèze ! Mais c’est mon ami de cœur, celui-là ! Vous ne lui ferez pas de mal, au moins ?

Elle parlait sur un tel ton craintif que je restai sans réplique. J’entrai au bureau où m’attendait le bonjour sucré de Mme Boulard. Quoi ! Germaine me jugeait si redoutable qu’elle craignait pour son manieur de marteau ? C’était un effet de ma victoire sur Balthasar, dont les détails avaient été grossis par Boulard et par les mariniers, s’enflant démesurément de bouche en bouche. Tout fort que fût son ami de cœur, Germaine devait se dire que ma force était plus grande encore, et peut-être était-ce là l’origine de ses gentillesses pour moi.

L’occasion de la rassurer m’échappa, car dans la matinée