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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/78

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empressement et me pria de ne pas rester, disant qu’elle avait sommeil. Je me retirai sur son insistance. Un propos tenu à la table d’hôte de la pension vint à point, le lendemain, m’éclairer sur cette complaisante fille. Le retraité de la préfecture avait invité un gros fermier à face rubiconde, en bourgeoise redingote sous sa belle blouse bleue. Quand il sut que je tenais les écritures du marchand de bois :

— Ah ! Vous êtes chez Boulard, fit-il. Bonne maison. Brave femme, Mme Boulard. Pas belle, mais cul chaud. Et le père Boulard n’aime pas moins la « fumelle » que le vin, ce qui n’est pas rien dire. Heureusement que la petite Boreux, sa servante, ne boude pas au service.

La petite Boreux ! Germaine !

— Vous croyez ? dis-je, en jouant l’indifférence.

— Si je crois ! Mais un chacun vous le dira. Après tout, il faut bien que cette jeunesse s’occupe.

On parla d’autre chose, mais je ruminais cette révélation. Elle blessait en moi le sentiment de fatuité qui est le travers des jeunes gens, et, revenu à mon bureau, je jetai crûment le fait à Germaine, qui m’apportait des lettres. Elle se prit à en rigoler : « Coucher avec le père Boulard ? Vous en avez de bonnes ! » Et cela si drôlement que j’en ris moi-même en l’accotant sur l’angle d’un meuble. Néanmoins, dès ce jour, observant le marchand de bois, je retins certains faits qui dénonçaient une intrigue avec elle, comme de lui parler bas quelquefois. Je continuais de la prendre le matin et de l’aller retrouver la nuit, en me contentant de la plaisanter au sujet de Boulard, quand un après-midi, Mme Boulard étant sortie, je vis Boulard monter à la chambre conjugale. Deux minutes après, Germaine suivait le même chemin. Je tendis l’oreille : un bruit de lit foulé m’apporta toute certitude. Devais-je en prendre ombrage ? Mon goût pour Germaine était-il de l’amour ? Non, et ce fut sans le moindre dépit que, cette nuit-là, je lui dis que ma conviction était faite. Elle protesta, riant encore, mais devant mes précisions elle m’avoua la chose, en m’embrassant. Dès le premier jour de son entrée en service, elle s’était livrée à Boulard, qui exigeait ça de toutes ses bonnes. Il la payait de menus cadeaux.