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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/92

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Au matin, je quittai ma chambre sans passer dans celle de ma voisine. Je ne fus pas plus aimable avec Germaine qui, du reste, n’en était pas à une galanterie près. Je venais de m’asseoir à mon bureau quand j’entendis un appel dans le corridor. Une gamine en sabots me tendait une lettre. L’adresse en était « à mosieu farregaize ». Je la décachetai. Était-ce possible ? Je lisais ces deux lignes de pauvre écriture : « Chère Félicien. Je veu vous donné ma virginité. Je seré où vous voudré ce soir. Répondai. Votre Hubertine. »

Je relisais et relisais. La folle imprudence de cette démarche, n’était-ce pas le plus beau gage d’amour ? Les doigts dans le nez, la gamine attendait une réponse. Je griffonnai : « Soyez à quatre heures au même endroit qu’hier. » Elle repartit au galop.

La virginité d’Hubertine ! Ce don charmant et sans prix, où pourrais-je le recueillir ? Pas chez moi, pas dans mon lit. Nombre d’hôtels consentaient la passe, mais j’ignorais lesquels. Ferions-nous l’amour à la belle étoile ? On jouissait d’une arrière-saison aux soirées douces. Un petit bois était proche, que connaissaient bien les amoureux pressés. Je ruminais ce projet quand, vers midi, le ciel tournant à l’orage, des torrents de pluie se déversèrent. Le lit de verdure devenait impraticable. Où aller ? J’y pensais à la table Dumesnil, où je fus distrait et grognon. Enfin, revenant au bureau, je me déterminai à louer une chambre, si misérable fût-elle, à l’auberge des mariniers qui avait été celle de la Berrichonne et de Balthasar.

Je travaillai mal. Je me disposais à sortir pour aller rejoindre Hubertine, comme j’en avais convenu, quand à mon vif émoi je la vis entrer, guidée par Germaine. Elle venait régler la facture de son père, simple prétexte. L’année d’avant, elle s’était présentée ainsi pour des règlements, à diverses reprises. Elle connaissait Germaine qui, observant notre émotion, ne fut pas sans deviner quelque chose. En souriant elle fit le geste de me menacer du doigt. Puis elle s’en alla, nous laissant seuls.

Que d’embrassades ! Mais Mme Boulard n’était pas loin, et je dus refréner mes ardeurs. Hubertine, qui se fût donnée