Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88

— Monsieur Fargèze ! Comment ça peut-il se faire que vous soyez ici ?

La blouse verte la suivait sur les talons, un maigriot assez bien de figure, qui me dévisagea sans y mettre de malice.

— C’est son promis, me dit Caplin. On les mariera dans trois semaines.

Tout penaud, je serrai leurs mains. Je ne m’attendais pas à celle-là ! Hubertine à la veille des épousailles ! Qu’avais-je à faire ici ? Mais Caplin débouchait une bouteille de sa boisson, qui avait l’aspect et l’odeur de pissat de vache, et comme nous trinquions je reçus dans l’œil un chaud regard d’Hubertine. Je lui décochai le pareil. Son promis était gentillet, mais bête. Un bon nigaud. J’avalai sans sourciller la boisson mal avenante en me demandant ce que ce regard direct pouvait bien signifier. Je contai mon histoire, et que dès le surlendemain je partirais pour Saint-Brice. Elle allait descendre auprès de sa mère. « Au revoir, pas adieu », me dit-elle, soulignant cela d’une nouvelle œillade plus parlante encore. Je n’avais qu’à me retirer, ce que je fis en promettant au père Caplin de revenir.

Bien court était le temps qui me restait pour mener jusqu’au bout cette affaire. De retour au bureau, j’expliquai à Mme Boulard que j’étais allé porter une lettre à un marinier, de la part de mon oncle, et je me remis au travail. Jusqu’à sept heures je ne levai pas la tête. Je me rendais à la pension Dumesnil quand d’un coin d’ombre une silhouette féminine surgit : Hubertine. Elle guettait là mon passage. Nous nous embrassâmes comme deux amants longtemps séparés. Je lui jurai que son souvenir était resté dans mon cœur ; elle m’assura qu’il en était de même pour elle. Je n’avais plus rien du coquebin de Saint-Brice et je savais à présent comment on parle aux filles. Mais je n’eus pas le loisir de lui en dire long, car elle s’échappa comme elle s’était échappée il y avait deux ans, et d’une allure si vive que j’aurais eu mauvaise grâce de courir après elle. Se moquait-elle de moi ? Ses caresses m’avaient enflammé, et les démonstrations redoublées de Mme Fosson furent impuissantes à m’apporter le repos.