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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/94

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y pendillait. Les initiales F. F. avec la date, 1851, étaient gravées sur le couvercle. Je ne reçus pas sans gêne ce trop riche cadeau. Je la grondai. Elle ajusta la chaîne à mon gilet, jugea que l’effet en était beau, puis se pendit à mon cou. Cela se termina sur le bord du lit, où la chaîne et la montre reçurent le baptême de l’amour.

Je fis un saut chez les Boulard. Je troussais Germaine quand des pas dans le corridor brusquèrent notre plaisir. La gamine de la veille était là, un billet à la main.« Chère Félicien, pardonné-moi. Tout a manqué. Je viendré ce soir sans faute. Hubertine. » Je lus tout bas ces lignes à Germaine, qui me dit que sa chambre demeurait à ma disposition. « À la même heure et au même endroit, ce soir », répondis-je. Chère Hubertine ! J’étais radieux.

J’usai mon temps à faire la navette entre la pension et le bureau. Je comptai ma bourse. Je me trouvais à la tête de cent trente francs, étant compris mes soixante-dix francs d’octobre. Six beaux écus de cent sous furent mon remerciement à Germaine, qui ne les avait pas volés. Elle fut pourtant ébahie de cette largesse. J’avais abandonné ma chambre à Claire, qui emballait mon linge. Elle pleurait et j’étais las de la consoler. Je voulais me garder pour Hubertine.

Tous les Boulard avaient exigé que mon dernier dîner fût pris chez eux. Je ne pouvais refuser, mais je n’oubliais pas mon rendez-vous et je les prévins que je ne m’attarderais pas, car il fallait que je fusse reposé pour le voyage. Dès six heures le marchand de bois me fit asseoir à sa table. Les petits plats avaient été mis dans les grands. Des écrevisses, une matelote de carpes, un cuissot de chevreuil, des canetons aux truffes ! Sans parler de la suite, entremets et desserts. L’arrosement de cette fine chère dépassa toutes bornes. Je n’étais pas au rôti que déjà bourdonnait et bouillonnait ma tête. Le bordeaux acheva l’œuvre des bourgognes. Quand le vin de champagne pétilla dans les coupes, tout juste pouvais-je encore ingurgiter, sans qu’il me fût possible d’articuler une syllabe. Le buste fixe, j’écoutais Boulard me raconter sa vie, depuis ses débuts comme simple mousse, dans un chantier de Montargis. Sa forte voix m’arrivait sous le crâne en vibrations extraor-