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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/95

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dinaires. Le café me nettoya les idées, mais me donna mal au cœur. Un plein verre de vieille eau-de-vie fut la conclusion du repas, et il me sembla que cette ardente coulée de lave me remettait d’aplomb.

Une horloge se dressait dans un coin. J’y lus neuf heures et quart. Si brumeux que fût mon esprit, je jugeai que j’étais en retard et qu’il me fallait partir. Germaine m’en avertissait en me heurtant le dos. Je me levai, très droit, tenant bien l’équilibre. Ayant fait mes adieux à tout le monde, je sortis avec cette vivacité d’allure qui caractérise l’homme soûl, mais sitôt que je fus dans la rue, sous la pluie qui ne cessait depuis la veille, le grand air me rompit les jambes et m’assena sur les tempes un coup terrible. Je chancelai, tentai de faire quelques pas et m’effondrai sur le pavé boueux. Tout tournait autour de moi, à des vitesses de vertige. Des nausées me venaient. Je me relevai, dégueulai sur une borne. J’atteignis la cour du chantier, et ce fut pour dégueuler encore. J’étais frais ! Je dégueulais de nouveau quand arriva vers moi, dans la nuit, une forme blanche qui était Germaine. Elle s’empressa, me tint la tête, que secouaient les hoquets du vomissement.

— Ça ne va pas. J’ai trop bu, éructai-je.

J’avais sérieusement allégé mon estomac, et je me sentis mieux. J’allai à la pompe, me lavai la bouche et le visage. Passant alors son bras sous le mien, Germaine me dirigea vers l’extrémité de la cour. Je marchais comme si mes pieds eussent chaussé des bottes de plomb. Un moment après, j’étais dans l’obscurité de la petite chambre, où depuis longtemps Hubertine m’attendait.

— On l’a fait trop boire, avertit Germaine. Il est un peu malade.

Elle ajouta :

— Ne faites pas de bruit. Je vous laisse. Il faut que je retourne à la cuisine.

J’étais tombé sur le lit, massivement. Je saisis Hubertine, visitai ses seins, ses fesses, ma main se dépêchant sous la chemise. Je me penchais sur elle, qui était à demi ployée, quand un violent haut-le-cœur me prit, si soudain qu’à peine eus-je le temps de me rejeter en arrière pour ne pas