Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/119

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vins et spiritueux répandait dans la nuit d’été un remugle de carnage qui finissait par griser ceux qui n’avaient pas l’habitude de ces ruelles. Des employés du Muséum, de ceux que Balzac appelle les casquettifères, terminaient de lentes manilles sous le gaz. Un rugissement de lion ébranlait parfois le hall d’air dans lequel le quartier semblait s’être glissé avec ses tonneaux, ses chimpanzés et ses hydrophiles…

J’observais les deux amoureux, qui n’avaient pas l’air très catholique. Tous deux parlaient avec beaucoup de circonspection, comme deux illustres escrocs qui craindraient d’être pris en faute. Ils avaient mutuellement peur de se déplaire. Lui s’efforçait d’entretenir une conversation en émaillant ses monologues embrouillés de vers de Bruant relatifs à la prison de Mazas, nom d’un brave donné à l’ancienne prison de la Nouvelle Force : « Vrai, j’menfil’rais ben un’ bouteille ; à présent qu’t’es sortie d’là-bas ; envoy’-moi donc un peu d’oseille ; à Mazas… » La jeune femme s’y laissait prendre et croyait avoir affaire à mylord l’Arsouille en personne. Ravie de passer pour une vamp dangereuse aux yeux d’un inconnu qu’elle prenait pour un mec à la redresse, elle raffinait sur le vulgaire et faisait de son mieux pour manger avec ses doigts. En réalité, elle était affectée de quelques millions et ne savait comment employer le plus agréablement son temps. Ces deux gosses, car ils étaient jeunes, s’aperçurent de leur supercherie réciproque un jour où s’éleva entre eux une discussion un peu