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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/136

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et des harengs les surveillent, robustes et narquois. Ils ont des casquettes pâles, semées de pointes noires, selon la mode qui trottine de Belleville à Grenelle. Quelques pantalons traînent encore parmi les mégots de la piste, rappelant les heures charmantes des pieds d’éléphant et des viscopes.

Les braves accordéonistes de l’époque Doumergue, qui scandaient les airs à coups d’espadrilles, ont été remplacés par les orchestres de location promis à Cannes ou Wiesbaden. Je ne retrouve plus, pas même au Petit Balcon, cette puanteur noble et ces sourires de pègre sentimentale qui honorent encore aujourd’hui Marseille ou Hambourg. La vulgarisation a déferlé sur ces chaînes de décrépitude. Les garçons sont syndiqués, les voyous suivent des problèmes de mots croisés et vont au café comme les rentiers vont aux courses. Parfois, se jettent dans la mêlée quelques épaves des anciennes tournées de grands-ducs. Aussitôt fondent sur eux de maigres poules à ruban pour qui le pittoresque n’est pas encore assassiné et qui croient dur comme fer qu’il reste des malabars, des mecs à la redresse, des potes réguliers et des tôliers costauds. Illusions charmantes, dont les dernières lueurs se voient dans leurs prunelles tragiques et désespérées. La rue de Lappe n’est plus guère qu’un carrefour à peine suspect, aux flaques posées là par les machinistes de l’Opéra-Comique, un Tabarin pour concierges lettrés, que les Chinois de Billancourt et les garçons de bains revendeurs