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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/139

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DE L’OPÉRA À MONTPARNASSE

En dehors du « Bœuf sur le Toit », du « Grand Écart » et de « Florence », que nous fréquentions à quelques-uns, comme une administration, comme le Ministère de la Nuit, bien plus comme pour une sorte d’opium et de dérivatif que par goût de la noce, je suis entré à peu près dans tous les bars qui, depuis quinze ans, donnent à Montmartre des allures de sport, d’exposition, de gare, et emplissent ces quartiers d’odeurs de chair et d’émeutes. Bars éphémères, incrustés, usés, inamovibles, russes, nègres, malgaches, lesbiens, platoniques, kermesse tumultueuse, qu’aucune ville du monde n’a pu faire entrer dans sa substance.

Dix fois ces lieux de danse et d’abandon ont changé de propriétaires et d’enseignes. Ils ont porté des noms d’oiseaux et de ports lointains, des noms tirés du Zodiaque et de la bibliothèque de l’Opéra, ou parfois empruntés à des romans, et ce vocabulaire chantant, qui ornait Paris de la place Blanche à la rue Delambre, augmentait encore la valeur de la nuit et la jouissance des noctambules.

Il me fut donné un certain hiver de visiter une vingtaine de ces boîtes en une seule nuit. Comme je descendais du « Grand Écart » pour aller serrer la main de Jef Kessel qui fêtait ce soir-là son Prix du Roman dans le quartier, en compagnie