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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/150

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besoin « pour vivre », expliquait-il. Il se livrait à ces opérations avec un détachement et une élégance qui faisaient impression sur la logeuse. Pendant des mois, celle-ci n’osa pas ouvrir la bouche. Elle regardait fuir son mobilier et ses carpettes avec une réserve touchante. Un jour elle alla même jusqu’à racheter pour une trentaine de francs un vase clos que le Portugais avait laissé pour cent sous. Mais il n’y a pas de sainteté toute faite. Une nuit, la bonne femme s’aperçut que sa patience venait soudain de céder la place à l’indignation. Dégoûtée de la peinture, du Portugal, des gigolos, en un clin d’œil elle se leva, décrocha un parapluie, sortit de sa chambre comme une furie, fit irruption chez son locataire, le roua de coups sans l’avertir et le jeta finalement dehors, tout nu, prétendant qu’il ne reverrait son complet mastic que le jour où il se serait acquitté envers elle. Il devait, compte tenu des meubles vendus, des avances faites par la logeuse et des mois de location impayés, quelque chose comme soixante-cinq mille francs. Ce qui lui permettait de s’en aller nu sans trop renauder. Quelques minutes plus tard, il apparaissait à la Rotonde tout revêtu de morceaux d’affiches, coiffé de Paris-Sport et chaussé de boue, car il pleuvait. On l’accueillit comme un explorateur. Il conta son aventure. Aussitôt la Lettonie, le Danemark, l’Espagne, le Mozambique et la Patagonie, représentés là par divers aquarellistes, modèles et révolutionnaires, proposèrent de se constituer en ligue vengeresse, en Bal des Quat’-