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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/151

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Zarts, et de démolir le garni. Le Portugais trouva plus commode de s’installer daris un hôtel voisin où on le toléra quelques mois. Car le logeur de la Rive Gauche est assez crédule : il croit à l’art Nègre, au Pré-Hellénique, au Munichois, Toulousain et N’importe quoi, que d’anciens cancres commentent en sa présence à grand renfort de gestes, de whisky et de Camel. Montparnasse est un des endroits du monde où il est le plus facile de vivre sans rien faire, et parfois même de gagner de l’argent. Il y suffit, la plupart du temps, de porter un pull-over voyant, de fumer une pipe un peu compliquée, et de danser en croquenots à clous. En revanche, le moindre talent se trouve plutôt gênant : il est même le seul moyen de crever carrément de faim. Depuis dix ans, les arrondissements chics envoient régulièrement, à la Cabane Cubaine, au Select, à la Villa, au Jockey ou en d’autres lieux toujours exotiques, des délégations de snobs que démange l’envie de s’affranchir, et qui éprouvent une volupté réelle à dire : « C’est régulier, c’est correct, je suis à la page, j’en ai marre, un truc marle, un malabar, etc. » Plaisir innocent, qui est à l’origine de cette Internationale mi-intellectuelle, mi-nocturne, où fraternisent les riches, les ratés, les paresseux et les illuminés de Chine, d’Afrique, de l’avenue Friedland, de Londres ou d’Asnières. Louis Barthou, avec qui je dinais un jour dans une gentille boutique du quartier, me disait que l’un de nous, poète, peintre ou chroniqueur, aurait bien dû collectionner pour les amateurs fu-