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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/158

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tique, et qui peut aussi bien s’appliquer à la vie de tous les jours.

Le café des Deux Magots, devenu « des deux mégots » pour les initiés, depuis que l’on a cessé de demander au patron des nouvelles de son associé, est un établissement assez prétentieux et solennel où chaque consommateur représente pour son voisin un littérateur, où des Américaines presque riches, presque belles, mais pas très propres et la plupart du temps pompettes, viennent bâiller et se tortiller devant les derniers surréalistes, dont le nom traverse l’Océan s’il ne dépasse pas le Boulevard. Par sa large terrasse, si agréable à la marée montante des matins ou à la descente du crépuscule d’été, par la cherté de ses consommations, les plus chères de Paris, le café des Deux Magots est fort recherché des snobs, qui trouvent que le Dubonnet à cent sous ne constitue pas une dépense exagérée pour qui veut assister à l’apéritif des écrivains modernes. Quelques dessinateurs, Oberlé par exemple, lancent un rire par échardes. Quelques vieux de la vieille contemplent ce pesage d’un œil de coin, le docteur Lascouts, Derain, Jean Cassou, Philippe Lamour, Larguier, moi-même. Chaque matin, et la chose a déjà passé la terrasse, Giraudoux y prenait son café au lait et y recevait les quelques amis qui ne pourraient plus le saisir de la journée. À une heure du matin, les garçons commencent à pousser les tables dans le ventre des clients nocturnes, qui ne sont plus que de braves bourgeois du sixième arrondissement, à balayer