Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/157

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fait l’angle de la place et du boulevard, une bonne maison bien fournie en feuilles de toutes couleurs.

Hantés, on ne sait trop pourquoi, par le souvenir des Écoliers qui se flanquaient des trempes, et souvent avec les Bourgeois, dans le Pré-aux-Clercs, aux Halles, rue Brisemiche ou rue Pute-y-Muce, les chapeliers ou marchands d’articles de bureau des environs ont à cœur de venir prendre un bain intellectuel, à l’heure de l’apéritif, le long des librairies qui se mettent en boule ou des terrasses qui gazouillent comme un four à frites. La place en effet vit, respire, palpite et dort par la vertu de trois cafés aussi célèbres aujourd’hui que des institutions d’État : les Deux Magots, le Café de Flore et la Brasserie Lipp, qui ont chacun leurs hauts fonctionnaires, leurs chefs de service et leur gratte-papier, lesquels peuvent être des romanciers traduits en vingt-six langues, des peintres sans atelier, des critiques sans rubrique ou des ministres sans portefeuille. L’art et la politique s’y donnent la main, l’arriviste et l’arrivé s’y coudoient, le maître et le disciple s’y livrent à des assauts de politesse pour savoir qui payera. C’est à la terrasse des Deux Magots, celle d’où l’on peut méditer sur les cendres de Childebert ou de Descartes qui furent déposées dans l’Abbaye, qu’un comitard assez mal décapé me fit un jour une courte esquisse de la vie parlementaire : « Un député est un électeur qui gagne à la loterie, un ministre est un député qui améliore sa situation. » Formule élas-