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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/163

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Marquise de Crussol. Et parfois André Gide est là, qui dîne seul.

Au surplus on y voit, jamais assez loin, quelques raseurs et quelques cancres essentiels, plus ou moins rageurs de ce que vous êtes, et qui espèrent de se blanchir en vous tapant sur le ventre ou en vous insultant. Il ne sera pas très difficile de s’en défaire, si la coterie veut bien s’y mettre, et un peu fort…

Lipp comporte une discipline rigoureuse. Ainsi, certains plats nécessitent une nappe, d’autres pas. Mystère. Impossible d’y manger avec joie quelque chose de simple, d’un peu gras, d’un peu fruité, avec un bon pot, sur le bois ou sur le marbre d’une table, comme on le faisait autrefois au vieux petit Pousset, si cossu, si noir, si excellent, au carrefour Le Peletier. Et s’il fait chaud et que l’on soit à la terrasse, et que l’on se sente gagné de fringale, il faut rentrer dans l’établissement. Néanmoins, on ne saurait écrire trente lignes dans un journal à Paris, peindre une toile ou afficher des opinions un peu précises sur le plan politique sans consacrer au moins un soir par semaine à cette brasserie, qui est aujourd’hui aussi indispensable au décor parisien et au bon fonctionnement du pittoresque social que le ministère de l’Intérieur, la Foire du Trône ou la traversée de Paris à la nage. Lipp est à coup sûr un des endroits, le seul peut-être, où l’on puisse avoir pour un demi le résumé fidèle et complet d’une journée politique ou intellectuelle française. On comprend mieux ainsi qu’à deux