Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/207

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ou de jouets ! Mais il y a les clients à scandale, et même pis. Je ne puis vous citer le nom de l’établissement où cela s’est passé, mais essayez de vous représenter les conséquences de la chose : Un jour, un dîneur mécontent, croyant à un attentat, a abattu en pleine salle un malheureux maître d’hôtel. Il était mort, monsieur, mort, mort, mort ! Homicide par imprudence, si l’on veut, d’accord, mais tout de même, mettez-vous à la place du client !

Admirables nuances du métier ! C’est le client que l’on plaignait et non le défunt, ni la famille d’iceluy. Un client qui devait être fort embarrassé, et qui sans doute changerait d’hôtel. Voici comment les choses s’étaient passées : On servait des œufs de pluvier farcis à un client bien pris dans un smoking parfait, mais voici qu’un œuf de pluvier tombe maladroitement entre ce smoking parfait et la pure chemise du monsieur. Le maître d’hôtel perd son sang-froid, bleuit, pâlit et, croyant bien faire, cherche vivement à retirer l’œuf de ses doigts tremblants, ce qui crépit le plastron du client d’une longue peinture de Braque. Devenu fou furieux, le dineur, parant l’attaque, se lève, tire son browning et abat le maître d’hôtel !

— Hein ! dit le barman. C’est du roman policier, ça ! Mais, pour ma part, j’aime mieux ceux qui prennent la chose gaiement. J’ai connu un maître d’hôtel qui malaxait sans cesse et trop fort un râtelier hautement décalé. Un soir, il le laisse tomber dans une soupière :