Aller au contenu

Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La dame vouée au noir

Cette jolie somme me rappelle l’histoire d’une dame qui, si elle n’est pas ritzienne, mérite de le devenir un jour. Le monde parisien l’avait surnommée la Dona Bella. Elle n’était plus très jeune, bien que splendide encore. Son mari était vaguement banquier dans un vague Brésil. Elle ne se montrait qu’en noir, et faisait installer la chambre qu’elle retenait en tentures et tissus noirs. Son lit était paré de soie et de draps noirs. Elle s’évertuait à imposer le noir à son fils, et à une gouvernante qui n’allait pas tarder à l’alléger de tous ses bijoux…

Cette symphonie en noir était heureusement relevée par une générosité qui avait le droit de se faire appeler gaie : la Dona Bella donnait une livre sterling de pourboire pour chaque acte de service, et autant par invité quand elle recevait des amis à déjeuner ou à dîner. Un jour plus noir encore qu’à l’ordinaire, elle demanda à un chasseur de l’accompagner jusqu’à je ne sais plus quelle gare, car elle craignait de voyager seule. Arrivée devant le compartiment, elle remit au jeune homme un chèque de 10 000 francs pour le remercier.

Ce sont ces faits divers de la vie ultra mondaine qui font rêver les midinettes de la place Vendôme, les taxis qui passent et repassent, les bacheliers pressés d’être hommes, « pour voir », et tous ceux qui ne connaissent du Ritz que cet