Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/24

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cordonniers et de zingueurs défilent entre la station Jaurès et le pont du chemin de fer du Nord, large morceau de boulevard aéré qui tient lieu de promenade des Anglais, de plage et de parc de Saint-Cloud.

Le mari, déjà juteux de vermouth, sifflote au derrière de ses fils. L’épouse fidèle et solide appuie sur le trottoir son pas de villageoise. La jeune fille à marier hume les fumets de l’Engadine-Express ou du Paris-Bucarest, qui emmènent son cœur loin des frontières géographiques et sentimentales. Les cafés retentissent de poules au gibier, de compétitions au billard russe. Tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas répondu aux appels de l’Humanité ou de quelque autre organisation donnent à la Chapelle une couleur bourgeoise, une atmosphère de considération que l’on ne trouve pas ailleurs…

Mais c’est le soir seulement que le quartier enfile son véritable costume et prend cet aspect fantastique et sordide que certains romanciers ont su rendre de chic, comme on dit, et sans risquer le voyage. Le soir, quand les rapides semblent prendre leur vitesse dans le cœur même de Paris, quand les jeunes sportifs se rassemblent devant les boutiques d’accessoires pour automobiles et se mettent à parler vélo ou plongeon, quand les matrones consentent à lâcher leur mari pour une partie de cartes entre copains et que les cinémas s’emplissent selon une cadence que l’on retrouve à la consultation gratuite des hôpitaux, alors la Chapelle est bien ce pays d’un merveilleux lu-