Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/38

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d’innombrables boutiques où ont crevé de faim des artistes si totalement obscurs qu’on ne sut jamais s’ils furent peintres, sculpteurs, graveurs, chansonniers, poètes ou philosophes.

Montmartre existe encore parce qu’il est pour la plupart de nos contemporains une jeunesse. Marie Laurencin, Derain, Mac Orlan, Salmon et tant d’autres qui contractèrent « là-haut » leurs plus fortes amitiés, le savent bien. Mais les années passeront. Les cafés, un à un, devront céder la place à des succursales de banques, à des garages. Les rapins, car il s’en trouve encore qui n’ont pas eu vent des changements, seront chassés comme des juifs. Des modèles feront du cinéma. Les poètes achèteront du linge à crédit et travailleront pour des agences de publicité. Il n’y aura plus rien. La jeunesse des hommes, et particulièrement des Français, passera autrement. Les noctambules seront peut-être fascistes…

Je me trouvais tout récemment dans un café assez suspect du douzième arrondissement. Il y avait là deux jeunes hommes tels que les fabrique notre année 1938, un mélange de sport, de politique, de modération sexuelle et d’extravagance intellectuelle. Pas d’alcool mais des quarts Vittel, un grand mépris des femmes, une ignorance complète de ce que peuvent être la liberté, le vagabondage, l’observation, la paresse. L’un, qui disposait d’une voiture, demanda à l’autre s’il pouvait l’emmener, et dans quel endroit de Paris. À Montmartre, fut la ré-