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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/39

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ponse. Moi, tu sais, je suis un peu artiste…

Rien n’est plus attristant que ce mot. Mais rien n’est plus juste. Le seul fait de posséder un appartement rue Caulaincourt ou rue des Abbesses, le seul fait de fréquenter le théâtre de l’Atelier, le Gaumont-Palace, le restaurant Marianne, le Studio 28 ou la brasserie Graff vous transforme en artiste. Telle est la puissance de ce quartier sur les hommes et leurs formules. Un ministre peut-il habiter rue Lepic ? Un consulat accepterait-il de s’installer rue Damrémont ? C’est douteux. L’influence de l’histoire et des légendes montmartroises est si forte, si lente à disparaître, que les commerçants eux-mêmes de ce quartier privilégié ont un parler, une âme différente, un regard délicieusement mystérieux et supérieur qui les distinguent de leurs collègues de la place de l’Opéra ou du Rond-Point des Champs-Élysées. Je ne sais plus quel est le dessinateur qui me disait, un jour de lyrisme, alors que nous achevions sur un banc de là place du Tertre une nuit de printemps :

— Ce quartier-là n’est pas seulement la fleur à la boutonnière de Paris, mais l’honneur de l’humanité !

Cela fait un peu songer au sabre qui était le plus beau jour de la vie de M. Prudhomme. Mais comment ne pas comprendre, après de telles définitions, la fierté des gens de Montmartre, même quand ils sont, comme aujourd’hui, employés du P. M. U., danseurs congolais, revendeurs de voitures ou patrons de bars élégants ?