Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/64

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d’assaut ces établissements nouveaux, étincelants, immenses ou minuscules, qui surgirent l’un après l’autre du vieux trottoir… D’où vient cette clientèle, qui s’étale comme un auditoire électoral, les soirs d’été, jusqu’au passage des taxis ? Entre ces expositions d’apéritifs et ces cascades de café-crème, les cinémas éclatent comme des feux d’artifice, les carrossiers font des merveilles d’incendie. L’avenue devient une des plus éclairées, des plus fréquentées de l’Europe. La clientèle est venue de toutes les Capitales à la fois pour goûter à nos huîtres, pour se mêler à nos mannequins, à nos directeurs de maisons de couture, clientèle pourrie malheureusement en son centre, comme une prune par un ver, par le peloton de cinéastes errants qui vont depuis vingt ans du Select au Fouquet, du Fouquet au Triomphe et du Triomphe au Select, dans l’espoir de trouver non pas les cent mille francs qui manquent encore pour donner le premier tour de manivelle, non pas la star qui fera frémir d’aise les provinces, mais le hasard qui les dégoûtera du cinéma…

En quittant ce jour-là le Fouquet, je ne me décidai pas à abandonner le quartier sans avoir jeté un coup d’œil, par acquit de conscience, dans les cafés. La crainte de savoir que ma provinciale avait pu être happée au passage par le monstre cinéma me tourmentait autant que l’espoir, très humain, de faire sa connaissance. Pouvais-je faire mieux que de m’offrir à la vue des clients des cafés ? Personne, hélas, ne se leva pour me re-