Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/104

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Elle se tut une minute, enfoncée dans son souvenir, la bouche crispée, les yeux fixes. Et mademoiselle Dax, très compatissante, lui caressa doucement le genou d’une main qui tremblait.

— Après, ç’a été la même chose pendant dix ans. J’étais la femme d’un homme d’affaires, matériel et pratique en tout, et dans le cerveau de qui le rêve n’avait jamais tenu la plus petite place. Moi, j’étais toujours la même enfant sentimentale, amoureuse de petite fleur bleue. Et le jour, j’écoutais des théories politico-commerciales, entremêlées de conseils très dédaigneux sur la seule manière dont il convenait de régenter les domestiques. Et la nuit, je subissais un viol brusque et sans câlineries, qui me répugnait… Songez qu’en ce temps-là, Alice, les jeunes filles de seize ans pouvaient être ignorantes ; je l’avais été jusqu’au lit de noces ! Songez alors à mon bouleversement, à ma terreur !… Vous, petite, vous êtes de votre temps, vous savez tant bien que mal les choses… Vous aurez moins peur et moins mal. Mais moi, j’ai eu peur et mal pendant dix années !

« Vous savez les choses… » Mademoiselle Dax, très rouge, avait incliné silencieusement la tête. Et elle écoutait à présent les yeux baissés.

— Pendant dix années !… Pendant dix années, quotidiennement, j’ai subi le supplice aigu des nuits, et le supplice morne des jours… Dédaignée du matin au soir, violentée du soir au matin ! Pas une fois, pas une seule fois, mon mari ne daigna s’apercevoir que j’avais comme lui, plus que lui, un cœur et des sens… Hélas !