Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/105

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mignonne, mille et mille maris sont pareils. Leurs femmes sont pour eux des ménagères ou des courtisanes. Et quand ils leur ont assuré le pain de chaque jour, en échange de toute liberté et de toutes aspirations, ils pensent être quittes, et même s’estiment généreux. À la rigueur, la ménagère, sinon la courtisane, trouve grâce à leurs yeux : ils consentent à s’en faire une associée, ils utilisent son bon sens de femme ; mais s’informer de sa pensée intime, de ses goûts, et de cette grande soif tendre qui est au fond de notre âme à toutes, turlututu ! ces messieurs ont d’autres chats à fouetter !

Madame Terrien, soudain muette, considéra longuement le paysage alpestre que le soleil dorait d’une brume molle et voluptueuse…

— Comment je me suis échappée ? – reprit-elle tout à coup, répondant au regard pressant de mademoiselle Dax. – Grâce à mon fils. Gilbert était né la seconde année de mon mariage. Déjà il grandissait, m’aimait, devenait quelqu’un, s’affirmait une petite âme chaude et tendre. Au contact toujours rude de son père, je le sentais souffrir et se replier. Un jour, j’ai compris tout d’un coup que mon devoir était de le sauver et de me sauver pour lui. Je me souviens de ce jour-là comme d’hier… un lundi ; c’était le matin… Je mis un chapeau et je pris un fiacre : oui, je n’eus même pas la patience d’attendre l’heure à laquelle mon mari revenait de son bureau. Il me crut folle quand je lui demandai, sans préambule, ma liberté et mon fils. Oh ! je revois si bien sa figure ahurie de la première minute !