Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/141

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des scandales, des duels, que sais-je ? Mais à la fin ils furent l’un à l’autre, malgré les lois, malgré le monde, malgré tout. Et voilà comment je suis née. En tétant le lait de ma nourrice, j’ai tété de la révolte contre toutes les servitudes, et du mépris pour tous les préjugés. Dame ! j’étais fille naturelle, et, qui pis est, adultérine !… Par-dessus le marché, vous devinez sans peine qu’on ne m’enseignait pas le respect du mariage, ni le culte de la respectabilité… Mon père et ma mère voyageaient sans cesse. Partout je les voyais passer au bras l’un de l’autre, superbes et libres, dominant de bien haut les colères hypocrites et envieuses sans cesse soulevées sous leurs pas. Cela dura toute leur vie : ils moururent presque en même temps, de je ne sais quelle consomption qu’ils s’étaient donnée l’un à l’autre. Mon père vécut le dernier. À son lit de mort, je pleurais désespérément, car je l’avais aimé d’un grand amour. Il râlait déjà quand il me fit signe d’approcher : « Ne te marie jamais, balbutia-t-il, ou épouse ton amant quand tu en auras un. » Voilà le dernier conseil que j’ai reçu de mon père ; et mon père était bon, sage, et m’adorait…

Mademoiselle de Retz s’arrêta pour mieux regarder dans ses souvenirs.

J’avais seize ans quand mon père est mort. – reprit-elle, – j’en ai vingt-deux aujourd’hui. Je ne me suis pas mariée… Est-ce que vous m’en voulez de ne pas m’être mariée ?

Souriant malgré elle, mademoiselle Dax fit non de la tête.