Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/5

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causer : mademoiselle Dax n’était nullement fière, mais que dire à cette gardeuse d’oies, échappée de son troupeau ?

Le Rhône coulait à pleins bords, tumultueux et trouble, crevé de tourbillons verts et fendu par les piles des ponts comme par des proues de navires. Sur les deux rives, le long des quais majestueux, Lyon étalait sa splendeur de capitale antique.

À gauche, c’étaient les quartiers neufs. Un alignement hautain de façades larges, régulières et riches : la ville de luxe des négociants, des soyeux, qui, tout le jour, peinent dans leurs bureaux de l’autre côté, et, le soir venu, se reposent avec opulence dans leurs hôtels des Brotteaux. – La famille Dax habitait là, avenue du Parc. – À droite, la vieille ville péninsulaire, étirée entre ses deux cours d’eau, depuis le coteau abrupt de la Croix-Rousse, jusqu’au cap pointu du confluent. Deux lieues de maisons toutes très hautes qui s’accrochent au sommet de la colline, dévalent en rangs serrés le long des côtes et s’entassent au bas, dans la presqu’île, entre des rues en zigzag larges comme des couloirs et sombres comme des prisons : la vieille ville énergique et laborieuse qui achète, qui vend, qui fabrique, et qui ne cesse pas de s’enrichir.

Au milieu du pont, mademoiselle Dax s’arrêta pour goûter la brise ; mais au grandiose spectacle elle ne donna qu’un coup d’œil distrait. Mademoiselle Dax avait vingt ans. Jeune bourgeoise élevée comme il faut, elle aimait les aquarelles léchées, les jardins ratissés, et les romans délicats, pleins de sentiments