Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/6

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à l’eau de rose. La beauté brutale de la vie ne lui semblait pas belle.

Au bout du pont, mademoiselle Dax traversa la place Tolozan et prit la rue Puits-Gaillot. Là, un flot de passants se précipitait, – ouvriers, employés, trottins. – Les vendeurs s’abordaient, hâtifs, bousculés par la foule, et traitaient leurs affaires en plein vent. Les balles de soie vomies par les entrepôts à grandes portes, s’entassaient sur des chariots à bâches, et quatre chevaux fouettés dru les emportaient vers les fabriques. Un monôme de tramways électriques fendait l’encombrement à grand renfort de sons de cornes. Et, sans le pavé de bois, feutrant le fracas des roues, des sabots et des semelles, la rue eût été plus bruyante qu’une gare. La femme de chambre savoyarde, effarée, se perdit dans des remous de foule : mademoiselle Dax dut l’attendre à deux coins de rues.

Place des Terreaux, devant le vieux palais noir qui vit mourir Cinq-Mars, mademoiselle Dax s’arrêta encore pour regarder si le quadrige de Bartholdi fumait des naseaux. Les énormes chevaux de plomb bondissent au milieu d’une cascade, et un artifice du fondeur a fait jaillir des bouches et des narines un souffle visible d’eau pulvérisée. La machine jouait ; le quadrige fumait ; enfantine, mademoiselle Dax contempla une grande minute. Plantée ainsi devant la cascade, sa silhouette de grande fille robuste attira un passant, qui vint la frôler. Détournée soudain, redevenue femme, elle ne résista pas à la coquetterie de le regarder. Il n’était pas mal… jeune… une jolie