Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/79

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— J’ai passé une saison ici avec mon père, il y a huit ou neuf ans, et je me souviens encore de la belle terrasse clairsemée de sapins sur laquelle ils ont eu l’infamie de planter leur abjecte bâtisse à sept étages. Maintenant on n’ose plus se promener par là : à chaque tournant de sentier, v’lan ! le Grand hôtel vous jette en pleine figure sa façade si longue qu’elle n’en finit pas, et si laide qu’on en rêve la nuit. Si j’avais su, Terrien, nous aurions été autre part écrire nos Filles

Mademoiselle de Retz, pour mieux maudire le Grand Hôtel, s’était avancée jusqu’au milieu du salon ; et elle parlait avec fougue, ses deux bras enlacés derrière sa taille, dans une pose jolie, quoique un peu théâtrale. Mademoiselle Dax, la regardant de près pour la première fois, s’étonna de sa bouche carminée et de ses yeux très longs : des crayons de fard avaient visiblement passé par là, et c’était si bizarre, cette jeune fille irréprochablement belle et fraîche, qui se fardait ! Mademoiselle Dax n’eut pas le temps de s’abandonner à son étonnement : à ses pieds, Bertrand Fougères, toujours assis à la turque sur les coussins, ripostait ironiquement à la poétesse :

— La solitude, l’air pur des hauts sommets, et rien que de grands horizons alentour, voilà ce qu’il vous faut à vous, pour écrire ensuite des horreurs que les sacripants comme moi n’osent pas lire ?

Elle haussa les épaules, dédaigneuse :

— J’écris comme je sens, et je me fiche pas mal de ce que vous et M. Prudhomme en pensez !