Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/98

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La voix de mademoiselle Dax, un peu tremblante, interrogea :

— À qui écrivait-elle ces lettres-là, mademoiselle de Lespinasse ?

Fougères releva la tête et élargit les bras :

— À qui ?… Seigneur ! Qu’est-ce qu’on vous apprend donc en pension ?

— Fougères ! – gronda madame Terrien.

— Dame ! vous ne trouvez pas ça scandaleux, une jeune fille bonne à marier qui ne sait pas ce que c’est que Lespinasse ? Heureusement que je suis là pour le lui apprendre. Or ça donc, mon petit n’enfant, oyez : Lespinasse, – Julie pour les messieurs, – naquit je ne sais où, ni de qui, dans le meilleur moment du xviiie siècle. Sa naissance, copieusement déplorée par ses père et mère, lesquels étaient tous deux mariés, mais pas ensemble, la marqua pour toute sa vie d’une malédiction particulière. Recueillie d’abord par une vieille dame aveugle et acariâtre, elle s’en fit promptement détester, et à bon droit : elle était jolie, gracieuse et sensible, toutes vertus dont sa bienfaitrice n’était point ornée. Expulsée, telle une nonne au xxe siècle, elle échoua chez un monsieur de ses amis, qui s’appelait d’Alembert ; lequel d’Alembert, philosophe, mathématicien et timide, l’aimait depuis longtemps sans le lui avoir jamais dit. Ils couchèrent ensemble.

— Fougères !

— Madame, je voudrais de bon cœur, pour vous plaire, qu’ils n’eussent point agi de la sorte ! Mais la